Dans un document publié le 6 décembre 2006, la Conférence des Evêques maronites réaffirme les valeurs auxquelles est attachée l’Eglise maronite et propose sept grandes orientations pour sortir le pays de l’impasse politique. En conclusion, le document souligne le rôle historique des chrétiens du Liban qui est « un rôle rassembleur, unificateur des diverses communautés et tranches de la société libanaise »
Les Libanais, et en particulier les maronites, vivent aujourd’hui une période critique de leur histoire, où les questions sur leur sort et celui de leur patrie se multiplient, et où les craintes sur l’avenir et un possible retour aux combats fratricides s’aggravent, en raison des conflits en cours et de l’exacerbation des tensions et susceptibilités qui les accompagnent. La patrie est dans une impasse qui menace son existence et qui pourrait avoir des répercussions régionales très graves.
Le peuple est tiraillé par des courants antagonistes et des axes régionaux hostiles, ce qui a provoqué des clivages très durs, alors que la majorité silencieuse se tient confuse et perdue, incapable de résister à ces courants ou de choisir.
L’État, pour sa part, est menacé de morcellement à coloration confessionnelle, il est pris dans des rapports de force et des conflits d’intérêts sectaires. Le rôle qu’y jouent les chrétiens est marginal. Il ne parvient plus à jouer son rôle dans l’unification de la société libanaise, à assurer sa sécurité et la dignité de l’homme et à assurer à ce dernier ses droits essentiels.
Face à cette situation dramatique, l’Église maronite ne peut ignorer le rôle essentiel qu’elle a joué, tout au long de l’histoire, dans l’édification de cette patrie, qu’elle a défendue dans tous ses besoins et face à toutes les occupations ; ni son rôle dans l’instauration de la démocratie, la consolidation du système parlementaire ; ni démissionner et reculer face aux dangers qui le menacent, qui menacent aussi l’avenir du peuple libanais et la continuité de l’État.
C’est pourquoi, et partant du document de l’Exhortation apostolique « Une espérance nouvelle pour le Liban » et du synode patriarcal maronite, il nous importe, d’abord, de rappeler certains principes essentiels qui constituent des constantes nationales qu’il faut respecter. C’est à partir de ces constantes qu’il faut aborder les questions urgentes susceptibles de contribuer à sortir le Liban de son impasse, et jeter les bases d’une solution à long terme des questions essentielles touchant à l’avenir de la patrie et à sa permanence.
Les constantes maronites
La liberté : Les maronites se sont attachés à travers toute leur histoire à la liberté religieuse. Ils en ont fait l’expérience au milieu de multiples conflits religieux. Cette liberté, ils l’ont vécue aussi dans ses prolongements divers, dans le domaine de la pensée, de la vie sociale et de la politique. C’est pour préserver leur liberté, qui leur est apparue comme le trésor des trésors, que les maronites se sont retranchés dans les montagnes du Liban.
La convivialité : l’attachement des maronites à la liberté n’a pas empêché l’ouverture aux autres, avec lesquels ils ont partagé heurs et malheurs, et aux côtés desquels, abstraction faite de leur religion et de leurs communautés, ils ont combattu pour fonder une patrie dans un climat d’égalité, de respect de la dignité de tous. Ils ont toujours vécu au sein de cette convivialité avec leurs compatriotes d’abord, puis dans tous les pays où ils ont essaimé. Cette convivialité repose sur la reconnaissance mutuelle de l’unité de destinée et de la complémentarité des familles spirituelles qui compose l’unique tissu national. La Constitution libanaise a confirmé ce principe, en privant de légitimité toute autorité qui contredirait le pacte de coexistence nationale.
La démocratie consensuelle : les Libanais ont choisi le régime de démocratie consensuelle, que la Constitution a consacré, dans le souci de préserver toutes les composantes de la société libanaise pluraliste, et pour que tous puissent participer de façon équilibrée à la vie nationale et aux décisions graves, à la direction de la chose publique et l’édification de l’État, sa croissance et son développement.
Caractère définitif de l’entité libanaise : dans son préambule, la Constitution affirme que le Liban est « une patrie définitive pour tous ses fils », parallèlement à l’affirmation des principes de la coexistence et de l’appartenance totale au monde arabe. Ceci suppose que l’indépendance du Liban, sa pleine souveraineté et sa liberté de décision soient défendues, et que l’on se dresse contre toute tentative de porter atteinte à cette indépendance, quelle qu’en soit la provenance, contre toute invasion de son sol, toute atteinte à sa souveraineté, toute ingérence étrangère dans ses affaires internes, et à faire passer ses intérêts supérieurs avant ceux de tout autre État.
Attachement aux résolutions de la communauté internationale : ceci suppose l’attachement à l’application totale des résolutions internationales, comme moyen privilégié de préserver cette petite patrie des convoitises de ses voisins, et de leur propension à l’utiliser pour régler leurs propres comptes à ses dépens, d’en faire une patrie de rechange pour ceux qui ont perdu la leur, ou une compensation pour ceux qui auraient perdu une partie de leur sol.
Défense de l’État libanais : il faut défendre l’État libanais et éviter tout ce qui peut le démembrer et affaiblir son rôle. Porter atteinte à l’État, c’est porter atteinte à la patrie. Il faut reconstruire cet État sur des bases de droit, de justice, d’égalité, de participation, et en restaurer toutes les institutions sur la base de la compétence et de l’intégrité, et combattre la corruption qui a pu s’y installer.
Attachement à l’application de l’accord de Taëf : cette application doit être intégrale, avec des éclaircissements de ce qui reste obscur dans cet accord et la correction des failles que son application a pu révéler, pour améliorer le fonctionnement des institutions de l’État et immuniser le Liban contre les dangers qui le menacent.
Règlement des problèmes urgents, partant de ces constantes
Partant de ces constantes, nous invitons les hommes politiques maronites et, en second lieu, tous les leaders nationaux à :
1- La conclusion d’un pacte d’honneur dans lequel, devant la patrie et leur conscience, ils renouvellent leur attachement au principe du dialogue et du règlement des conflits dans le cadre démocratique et légal ; dans lequel ils refusent aussi tout recours à la violence et aux affrontements armés, sous quelque prétexte que ce soit. Dans cet esprit, ils renoncent aussi à l’utilisation d’expressions avilissantes dans leur discours politique, comme à l’exacerbation des haines et susceptibilités confessionnelles, partisanes, factieuses ou personnelles, ou à s’abaisser à l’utilisation d’expressions injurieuses ou ordurières qui ne sont dignes ni d’eux, ni des personnes visées ;
2- Œuvrer à l’instauration du tribunal à caractère international, partant de leur foi dans la justice et le droit, leur rejet du terrorisme et leur condamnation de l’assassinat, qu’il soit politique ou non, dans le but de faire justice et de mettre un terme à la série des attentats et assassinats qui a instauré au Liban la loi de la jungle;
3- Refuser de se laisser entraîner dans le conflit des axes régionaux et internationaux, ou de s’insérer dans n’importe quelle alliance étrangère engagée dans des conflits sur le sol national au détriment de la patrie, tout en restant ouverts à leur environnement et au monde ;
4- Désamorcer la crise en formant un gouvernement d’entente nationale assurant une large participation au plan national, et capable de régler les problèmes du Liban, notamment sur les deux plans de la sécurité et de l’économie ;
5- Au cas où une telle solution ne serait pas possible, s’efforcer de former un gouvernement indépendant qui travaillerait à une nouvelle loi électorale sur base de la petite circonscription, afin d’assurer une représentation véritable à toutes les composantes du peuple libanais ; œuvrer à accorder aux émigrés le droit de vote, de manière à leur restituer une partie de leurs droits, à resserrer leurs liens avec le Liban et à renforcer leur participation à sa reconstruction ;
6- Trouver une solution au problème de la présidence de la République dont le boycottage international et interne ne peut se prolonger, ce qui ne peut qu’intensifier la crise et aggraver le déséquilibre existant. Partant, il convient d’organiser une élection présidentielle anticipée, pour unifier les aspirations des Libanais à l’ombre d’un État juste et lancer le processus de réformes et de réédification des institutions ;
7- Œuvrer à l’application intégrale de l’accord de Taëf, en particulier la clause relative à la décentralisation administrative et au développement équilibré des régions, réaffirmer le droit de retour des Palestiniens et leur implantation au Liban, régler le problème des armes palestiniennes, dans le cadre de l’octroi à ces derniers de leurs droits humanitaires et de la concentration des armes aux mains des forces de sécurité libanaise.
En conclusion, nous invitons tous les chrétiens à serrer les rangs et unifier leur verbe, non pour se dresser en force face aux autres communautés, mais pour qu’ils puissent jouer leur rôle historique qui est un rôle rassembleur, unificateur des diverses communautés et tranches de la société libanaises, une soupape de sécurité face aux tensions et affrontements entre les autres communautés, dont le rôle est d’empêcher que les conflits sectaires n’éclatent et, ce faisant, sauvegardant un Liban qui est « plus qu’un pays, un message d’ouverture, de dialogue, d’entente, de convivialité entre les religions et les cultures ».