samedi 23 décembre 2006

Message de Noël du Patriarche Maronite : Ce que nous vivons aujourd'hui est cause de grande inquiétude

L’anarchie qui marque la vie des institutions au Liban est « sans précédent dans l’histoire », constate le patriarche Nasrallah Sfeir, dans son message annuel de Noël, qui doit être rendu public ce matin. Le chef de l’Église maronite y décrit une situation particulièrement inquiétante, avec un gouvernement et une présidence de la République qui s’accusent mutuellement d’être « illégitimes » et un discours politique où l’invective, le mépris et la calomnie ont dépassé toutes les bornes. « Ce qui est encore plus pernicieux, note le patriarche, c’est que nous semblons avoir troqué nos personnalités pour d’autres » et nous être mis au service d’intérêts qui ne sont pas ceux du Liban.

Voici de larges extraits du message patriarcal :

« La fête de l’Incarnation de Jésus doit être considérée comme absolument le plus grand événement de l’histoire. Elle signifie que le Fils de Dieu est entré dans l’histoire des hommes (...). Qui veut marcher avec le Christ doit marcher en pleine lumière et ses œuvres doivent être manifestes et sans ombre de ténèbres. N’est-ce pas le Parole de Dieu qui dit : “Marchez tant que vous avez avec la lumière, de peur que les ténèbres ne vous atteignent”. Le chrétien qui n’applique pas l’enseignement du Christ, qui ne le met pas en œuvre, qui n’en fait pas son principe d’action, vit dans le mensonge et se leurre lui-même avant les autres, et même s’il affirme vivre en chrétien, n’est concrètement pas en communion avec le Christ. Entre lui et un non-croyant, il n’y a pas de différence. « (...) C’est pourquoi, si nous prétendons que nous connaissons Dieu, il n’est plus possible d’adorer un autre, que ce soit un homme ou une idole en pierre, une idée ou une doctrine ou toute autre chose de cet ordre. Et c’est bien une parole du Christ que nous rapporte l’Évangile selon saint Luc : “Il est écrit Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et c’est à lui seul que tu rendras un culte”. « Célébrer la Noël du Christ venu dans la chair est la meilleure occasion qui soit d’élever nos pensées vers l’invisible. Cette fête nous rappelle que les choses visibles, pour lesquelles nous nous battons et entre-tuons, ont une fin. Car si nous regardions avec les yeux de la foi ce que nous vivons et souffrons en ces temps difficiles, si nous savions retenir qu’il nous est né un Sauveur qui a changé la face du monde, depuis 2000 ans et qui nous a ouvert un accès vers lui et nos semblables, que nous pouvons désormais approcher dans l’amour et la fraternité, nous aurions changé bien de nos attitudes et conduites les uns envers les autres.

Une grande inquiétude

« Ce que nous vivons aujourd’hui est cause de grande inquiétude. Nous nous regardons les uns les autres avec méfiance, sinon avec hostilité, bien que nous soyons fils d’une même patrie. Or notre tâche commune consiste à préserver cette patrie unique que nous pourrions ne plus mériter, si nous continuons sur cette voie de la division, de la lutte pour le pouvoir, de l’invective avec les expressions les plus laides. Tout cela trahit une grande dégradation dans le discours que nous nous adressons les uns aux autres, qui doit se plier aux principes éthiques de tout discours, le respect d’autrui, loin du mépris et de la calomnie.

« Ce qui est encore plus pernicieux, c’est que nous semblons nous être reniés et avoir troqué nos personnalités pour d’autres, devenus étrangers à nous-mêmes, parlant et agissant au nom d’autres que nous-mêmes, comme si nous étions des instruments entre leurs mains, servant leurs intérêts plutôt que les nôtres. C’est ce qui a paralysé nos institutions constitutionnelles, qui se sont mises à se combattre. C’est ainsi que la présidence de la République agit de façon solitaire, sous prétexte que le gouvernement n’est pas légitime. Ce dernier, à son tour, prétend que la présidence est privée de toute légitimité. De son côté, le Parlement ne se réunit plus, tandis que certains souhaitent l’élection d’une nouvelle Chambre des députés, avant l’élection d’un nouveau président de la République et d’un nouveau gouvernement. Ce désordre est sans précédent dans l’histoire du Liban, en dépit des épreuves difficiles qu’il a vécues qui nous inquiétaient pour leur répercussion sur la vie des institutions.

L’anarchie

« Ce désordre, cette anarchie nous interpellent tous, et exigent de nous confiance en nous-mêmes et dans le Liban. Chacun doit se demander ce qu’il est en mesure de faire pour le relèvement du Liban, et non ce que le Liban peut faire pour satisfaire sa soif de pouvoir, d’argent ou de renom. Cette attitude exige de tous les Libanais, à quelque courant ou communauté qu’ils appartiennent, de renouveler leur foi en un Dieu omniscient, Seigneur du temps et de l’histoire, sans la permission duquel “pas un cheveu de nos têtes ne tombe”.

« Nous prions pour que cette fête revienne dans des circonstances où elle vous trouvera l’esprit plus tranquille, dans l’entente nationale et la solidarité pour notre patrie blessée. Nous vous exhortons tous à compter sur Dieu, à revenir à lui dans une contrition sincère, et à vos compatriotes dans un esprit d’entraide, de loyauté, d’amour réciproque, et que Dieu vous prenne tous en grâce et vous bénisse. »

(Source : L'Orient Le Jour du 23 décembre 2006)